Le Covid a frappé fort dans de nombreux secteurs. Un secteur en particulier a été fortement touché : l’aviation. Il n’y a presque plus de vols, et les écologistes s’en réjouissent, pas vrai ? De l’autre côté, les compagnies aériennes et les aéroports n’ont qu’une seule envie, que le trafic revienne à son niveau d’avant crise, avant de repartir à la hausse. Business as usual…
Est ce qu’on devrait se contenter du niveau du trafic actuel, ou justement le laisser repartir à la hausse ? Est-ce que l’avion est si mauvais que ça ?
Certains nous disent qu’il n’est responsable que de 2% des émissions de CO2, que les voitures sont bien plus polluantes. D’autres nous disent que c’est le pire moyen de transport. La Suède a même inventé un terme, le « flygskam » : la honte de prendre l’avion.
Comment démêler le vrai du faux dans tout ça ? Quels sont les réels enjeux de l’aviation ? Est-ce vraiment si polluant ? Y-a-t-il quelque chose de plus derrière ce côté polluant ?
Je vais essayer de répondre à cette question en montrant les trois points qui, selon moi, sont les plus importants à comprendre quand on parle de l’aviation : Les émissions de gaz à effet de serre (GES), la question de justice sociale, et enfin l’aspect économique et politique.
Avant toute chose, posons les bases et rappelons ce qu’est l’accord de Paris. Il s’agit d’un accord mondial sur le changement climatique signé par tous les pays du monde. Ces derniers s’engagent à réduire leurs émissions de GES pour limiter l’augmentation de la température en dessous de 2°C.
Concrètement, il faut diviser par deux au niveau mondial (par six au niveau français) nos émissions d’ici 2050. Nous vivons donc dans un monde où nous devons réduire drastiquement nos émissions de GES. Si vous n’êtes pas d’accord avec ça, je vous invite à participer à un atelier de la fresque du climat.
Les émissions de GES
« L’aviation ne représente que 2-3% des émissions de GES, c’est pas grand-chose »
C’est une phrase qui revient très souvent. De toute façon c’est la faute des chinois.
Alors déjà, 2-3% c’est tout sauf négligeable.
En comparaison, c’est équivalent à un pays comme l’Allemagne, classé au 6e rang mondial des pollueurs… Non négligeable.
L’avion représente 2-3% des émissions de CO2, et non des émissions de GES.
Ça peut paraître anecdotique, mais cela fait une grosse différence. En effet, en plus du CO2 émis lors de la combustion du kérosène, il faut aussi prendre en compte les émissions lors de la production et de l’acheminement du kérosène, ainsi que celles liées aux autres GES et aux traînées de condensation.
Pour résumer grossièrement, en brûlant le kérosène, l’avion émet du CO2, des oxydes d’azote (généralement non pris en compte) et aussi de la vapeur d’eau. La vapeur d’eau est un GES dont l’émission n’a pas d’influence au sol car celle-ci se désintègre très rapidement et est donc négligeable. Mais lorsque cette vapeur d’eau est émise à haute altitude, elle reste plus longtemps et son impact en devient non négligeable.
En prenant ça en compte, les émissions liées à l’aviation sont de l’ordre de 5%. En comparaison, c’est équivalent à un pays comme la Russie, classée au 4e rang mondial.
Cela ne prend en compte que l’état actuel du secteur aérien.
Et oui, il ne faut pas oublier que, comme la majorité des secteurs, le nombre de passagers augmente chaque année. Depuis les années 1970, le volume du trafic aérien mondial double tous les 15 ans. S’il continue à rythme, le trafic sera multiplié par 4 d’ici 2050 (Comprendre => émissions de GES multipliées par 4).
Donc pour résumer. Le secteur aérien est responsable de 5% des émissions de GES mondiaux, et cela pourrait quadrupler d’ici 2050.
En parallèle rappelons- le, il nous faut diviser nos émissions mondiales de GES par 2 dans la même durée pour respecter les accords de Paris. Paradoxe ?
Dernier ordre de grandeur pour se rendre compte de l’énorme quantité de GES libérée lors d’un vol. Un vol aller-retour Paris-New-York libère 2 tonnes de CO2-équivalent, soit l’intégralité du budget carbone que nous ne devons pas dépasser pour rester sous la barre des 2°C.
« La voiture pollue autant, et parfois plus que l’avion »
Les compagnies aériennes prennent un malin plaisir à utiliser l’unité de passager kilomètre. Il s’agit de la quantité de CO2 émise par passager par kilomètre.
Il est difficile de connaître précisément ces émissions car cela dépend du modèle et de l’occupation du véhicule. Il y a un tas d‘articles qui expliquent ça plus en détail.
En ordre de grandeur, un avion plein émet autant de CO2 par kilomètre par passager qu’une voiture avec 1 personne.
Seulement, le trajet moyen en avion est de 2.400km, contre 300km pour les trajets longue distance des autres moyens de transport.
Vous souvenez-vous la dernière fois que vous avez fait plus de 5.000km en voiture ? Si seulement vous l’avez déjà fait. Et si vous l’avez fait, c’était un sacré road-trip. Alors qu’en avion, c’est 8h.
Cette unité de passager kilomètre induit en erreur. Une vraie comparaison serait de dire que vous émettez autant de CO2 en faisant un Paris New-York dans un avion plein qu’en conduisant 30km par jour seul dans votre voiture pendant une année entière.
De même, une partie des gens choisissent la destination de leurs vacances en fonction du temps de trajet qu’ils sont prêts à consentir, par exemple 10h. Or 10h d’avion émet 1500 fois plus de CO2 que 10h de train !
La voiture représente environ 15% des émissions de GES mondial
Soit bien plus que l’aviation, et c’est un problème bien sûr. Même si elle pollue moins, elle est MASSIVEMENT utilisée.
Seulement pour revenir au point d’avant : On peut faire bien plus de choses utiles en conduisant 30km/jour qu’en effectuant un aller-retour Paris-New-York.
Et aussi parce que la répartition de l’utilisation de l’avion est très inégale.
Une question de justice sociale
Ce sujet entier pourrait être résumé en une phrase : Comme on l’a vu, l’aviation est responsable de 5% des émissions de GES, alors que 90% de la population mondiale n’a JAMAIS pris l’avion.
Pour le cas de la France, il s’agit de 20-30% des français qui n’ont jamais pris l’avion.
Dans un monde où les émissions doivent baisser, tout ce qui est émis quelque part par quelqu’un est quelque chose qui ne doit pas être émis autre part par quelqu’un d’autre. Allez donc demander aux Africains de limiter leur développement économique parce que vous avez réservé une semaine de vacances à Bali.
Continuer l’aviation telle qu’elle existe aujourd’hui induit d’énormes inégalités sur les émissions. D’autant plus que ce sont ces mêmes 90% qui vont subir le plus fortement les conséquences du dérèglement climatique.
Et même parmi ces 10% qui ont déjà pris l’avion, la répartition est inégale. En France, 50% des vols sont effectués par les 2% des plus riches. Et on retrouve cette tendance dans tous les pays du monde.
L’avion est un mode de transport inégalitaire et injuste.
Et pour ceux dont la famille habite loin ?
25% des voyages sont effectués dans le cadre familial ou amical, 25% pour le travail, et 50% pour le loisir. Les passagers qui rejoignent leur famille représentent donc moins de 25% des vols.
Aspect économique et politique
Argent public
En France, une quarantaine d’aéroports sont déficitaires (avant la crise du covid) et ainsi subventionnés par de l’argent public. Votre argent donc.
Ainsi, on injecte de l’argent public pour maintenir sous perfusion des aéroports régionaux non rentables, et à côté de ça on ferme des lignes ferroviaires non rentables. Allez comprendre…
De même, le carburant utilisé pour les vols internationaux n’est jamais taxé. Ça veut dire qu’en France, l’État met en place de l’exonération d’impôt pour le kérosène utilisé par… les plus riches ! Encore une fois, j’aimerais comprendre.
L’aviation, en dehors des négociations ?
Saviez-vous que le secteur aérien ne figure pas dans les accords de Paris ? C’est-à-dire que les transports aériens (et maritimes) internationaux ne sont pas pris en compte dans les chiffres des conférences des Nations Unies sur le climat.
Chaque Etat doit faire des efforts. Par exemple, en France, nous avons la stratégie nationale bas carbone, dans laquelle nous devons atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Là encore les vols internationaux ne sont pas comptés dans cette neutralité carbone.
Comment régler le problème ? En ne le prenant pas en compte : Succès garanti !
Comment “bien” prendre l’avion ?
Au vue des arguments, je ne pense pas qu’il soit possible d’avoir une aviation juste et écologique. En particulier quand je regarde la façon dont fonctionne le secteur aérien aujourd’hui, je me dis qu’il doit absolument changer.
Est-ce que cela veut dire que le secteur aérien doit disparaître ? Oui ? Non ? Peut-être ?
Pour moi, il n’est pas question de supprimer complètement ce mode de transport. Mais de questionner son utilisation et son utilité dans notre société. De limiter, et de raisonner son utilisation. Il y a beaucoup d’idéaux, de récits sur l’avion, et c’est ça pour moi qu’il faut déconstruire.
Faites le test : Tapez voyage sur google image et vous verrez… des avions. Ça demande de se reposer la question de “Qu’est ce que le voyage ?”. Est-ce l’exotisme ? Est-ce les rencontres ? Est-ce la destination ? Le chemin parcouru ? Le mode de transport ? La distance ? La découverte ? L’interculturalité ? L’aventure ? L’avion ?
Ce que je vous invite à faire, c’est de vous poser ces questions, et de vous réapproprier votre idée du voyage.
Doit-on interdire l’avion, ou mettre en place des quotas par exemple ? Chacun peut se faire son avis. J’entends souvent que cela va à l’encontre de nos libertés. “La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres.” Dans ce cas, si je veux avoir la liberté d’avoir un air pur, de vivre dans un avenir stable, les gens prenant l’avion empiètent sur ma liberté.
Est ce que vous devez arrêter de prendre l’avion ? Ce n’est pas à moi de vous dire quoi faire. Décider de voler est une décision personnelle et l’avion est utile dans certaines situations. Maintenant, je ne vous le dirai jamais assez, mais penchez vous sur le sujet et posez vous des questions.
Trois actions possible et faciles à mettre en place dès demain pour vous sont les suivantes :
1. Utiliser un autre moyen de transport quand une alternative existe. Donc pour toute la France et l’Europe => Privilégier les trains. Maintenant, les trains de nuit commencent à se remettre en place. Prenez cette opportunité pour vous arrêter à mi-chemin et découvrir une ville/un pays où vous ne seriez jamais allé autrement.
2. Éviter l’utilisation compulsive de l’avion. Prendre l’avion est un choix à ne pas prendre à la légère. Pesez le pour et le contre et prenez vraiment le temps de profitez de votre voyage le cas échéant.
3. Si vous devez prendre ou voulez l’avion : Privilégiez les vols directs (Plus d’émissions au décollage et atterrissage, et moins de distance) et proscrivez les compagnies aériennes low cost (Là c’est pas trop environnemental, mais plus pour le côté social). Si vous voulez mon avis, vu le prix beaucoup trop bas des vols par rapport à ce qu’il devrait être, prenez le luxe de payer plus cher pour réunir ces deux conditions.
La crise du Covid nous a montré que le secteur aérien n’était pas essentiel. Ce qui nous a manqué pendant tout ce temps, c’était de nous retrouver entre nous, entre proches. Pas d’aller à l’autre bout du monde en quelques heures.
Alors maintenant que trafic aérien est à un niveau très bas, dû aux restrictions sanitaires, qu’est-ce qu’on fait ?
Est-ce qu’on décide de s’en passer ou alors on choisit un retour à l’anormal ?
Si vous voulez approfondir le sujet, je vous invite à regarder le site de l’association Résistance Climatique qui propose à tout le monde de signer un engagement à ne plus prendre l’avion (j’ai signé bien évidemment). Ils ont un dossier complet sur le sujet. Très intéressant et complet. Et si vous n’en avez pas assez, je vous ai mis pleins de sources en fin d’articles.
Pour finir cet article, je vais faire une petite parenthèse sur “l’avion vert du futur”, car c’est une question (ou un mythe) qui revient souvent dans les conversations.
La technologie seule ne nous sauvera pas.
Désolé du spoil

Ce sont des sujets très complets et complexes à développer en tant que tels, mais dès qu’on se penche dessus, il y a un hic. Pour répondre rapidement aux principales questions :
Pour les technologies : Premièrement, les échelles de temps que nous impose le dérèglement climatique sont trop justes pour espérer une solution miracle dans 30 ans. C’est dès maintenant qu’il faut réduire nos émissions. Deuxièmement, même les progrès technologiques ne peuvent battre les lois de la physique. Si on veut faire voler un avion lourd loin et vite, il n’y pas de solution miracle.
L’avion à hydrogène : Si vous vous posez des questions sur l’hydrogène, ça répondra en même temps à vos questions sur la voiture à hydrogène. L’hydrogène n’est PAS une source d’énergie. On ne trouve pas d’hydrogène à l’état pur et il faut le produire. On peut le produire avec le l’électricité en effet (sous réserve que l’électricité soit décarbonée), mais cela demanderait une quantité colossale d’électricité. (en savoir plus sur l’hydrogène)
La compensation : Il n’y pas assez de places pour planter des arbres pour tout compenser.
Le biocarburant : Il serait possible d’alimenter les avions avec du biocarburant. Tout comme il est possible d’alimenter des voitures, des camions, des cargos, … Qui a la priorité ? Et faire pousser des plantes pour fabriquer du carburant c’est renoncer à faire pousser des plantes pour nourrir une humanité de plus en plus nombreuse.
De manière générale, dans toutes les questions environnementales, il est illusoire de se reposer sur la technologie seule, en pensant qu’elle nous sauvera. Elle sera utile, mais ne suffira pas à elle-même.
François
Pour se pencher plus sur la question, les sources sont en bas de l’article.
Je m’appelle François, j’ai 24 ans et je suis ingénieur généraliste. Après mes études, je suis parti voyager 1 an et demi en Amérique du Sud de manière éco-responsable – en stop et sans prendre l’avion. Je ne suis pas un expert du sujet, mais je me renseigne et je sais écouter et lire les experts qui en parlent. J’ai notamment aidé à la création du collectif « Non à l’agrandissement de l’aéroport de Lille-Lesquin » (Pour nous soutenir, vous pouvez signer la pétition ici : https://agir.greenvoice.fr/petitions/non-a-l-agrandissement-de-l-aeroport-de-lille-lesquin-une-bombe-climatique-et-sanitaire)
Sources :
https://www.bl-evolution.com/publication/climat-pouvons-nous-encore-prendre-lavion/
https://reseauactionclimat.org/wp-content/uploads/2019/06/cinq-mythes-sur-le-transport-aerien.pdf
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_%C3%A9missions_de_dioxyde_de_carbone
http://www.slate.fr/story/177042/impact-transport-aerien-rechauffement-climatique-pollution-avion
https://reseauinternational.net/trafic-aerien-mondial-une-croissance-que-rien-ne-semble-arreter/
https://www.actu-environnement.com/ae/news/Fnaut-subventions-publiques-transport-aerien-32692.php4
Technologie :
https://www.alternatives-economiques.fr/mirages-de-lavion-vert/00093043